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« Je veux que tout le monde sache que nous sommes en enfer »

Publié le 11.03.2022

Depuis 5 ans et demi, Darya Kasyanova est directrice du développement du programme national de SOS Villages d’Enfants Ukraine. Elle a étudié l’économie sociale et la démographie puis a travaillé comme chargée de cours à l’université. Darya parle de la situation poignante en Ukraine et des efforts déployés pour évacuer le plus d’enfants possible. A la fin de son interview menée le 7 mars avec nos collègues SOS, et dont vous lirez ici un résumé, elle déclare : « Je veux que tout le monde sache que ce qui se passe ici en Ukraine, en Europe, c’est l’enfer de l’enfer », tout en remerciant « tous ceux qui se tiennent aux côtés de l’Ukraine et expriment leur solidarité » envers les enfants et les familles qui en ont tant besoin.

Quel est votre rôle au sein de SOS Villages d’Enfants Ukraine ?

Portrait de Darya Kasyanova © Darya Kasyanova

Depuis 2007, mon travail s’oriente vers la problématique des enfants sans prise en charge parentale, la protection de leurs droits et plus généralement les droits de l’enfant à avoir une famille. En tant que directrice du développement des programmes, je suis chargée d’assurer la qualité des services fournis par SOS Villages d’Enfants Ukraine et d’en développer de nouveaux en fonction des besoins. Le travail de plaidoyer est également de ma responsabilité. Au cours des six dernières années, j’ai dirigé le Réseau ukrainien des droits de l’enfant. Ce réseau rassemble 27 organisations de protection de l’enfance, dont SOS Villages d’Enfants Ukraine, qui coordonnent actuellement leurs efforts au niveau national pour sauver et protéger les enfants.

Comment vous êtes-vous préparée à la situation actuelle ?

J’ai eu une expérience similaire. En 2014, lorsque la guerre dans le Donbass a commencé, je travaillais à Donetsk. Nous avons réussi à reloger à temps familles d’accueil et enfants vivant en institution. Lorsqu’en décembre dernier, il est devenu évident que le pays allait être confronté à la guerre, nous avons entamé une communication avec le gouvernement. Hélas l’expérience de 2014 et 2015 n’a pu être prise en compte pour la mise en place de mesures préparatoires. Lorsque la guerre a éclaté, tout a changé. De nombreux intervenants m’ont contactée sachant mon expérience passée. Nous avons cartographié les services pour enfants dans neuf régions que nous considérions comme zones à risque en cas de conflit. Cette cartographie nous a informés sur le nombre d’enfants vivant dans des familles d’accueil ou en institution. Nous avons partagé ces données avec l’UNICEF, les acteurs clés et le Ministère des Affaires sociales. Malheureusement, le temps nous a manqué entre le lundi, quand nous avons partagé l’information, et le jeudi, quand la guerre a commencé.

Combien d’enfants vivent dans ces régions devenues zones à risques ?

Quatre millions. Environ 1,5 million vivent dans des hotspots, villes et villages actuellement bloqués, comme Irpin, Marioupol, Bucha, Hostomel, Stanytsia Luhanska, Sievierodonetsk, Starobilsk, Popasna. Certaines institutions des régions de Lougansk et de Donetsk ont ​​réussi à évacuer les enfants vers l’ouest de l’Ukraine. Mais il y a de gros problèmes avec l’évacuation des enfants de Zaporijia, Kharkiv, Mykolaïv, Soumy, Kherson, Jytomyr et Tchernihiv. Nous surveillons la situation des enfants en institution dans ces régions. Samedi 5 mars, nous avons réussi à évacuer 150 enfants de moins de 3 ans de quatre foyers pour bébés de Kharkiv. Le personnel hésitait à partir mais l’évacuation des enfants sans lui aurait été illégale. (…) Il y a un foyer pour bébés avec une cinquantaine d’enfants à Vorzel, près de Kiev, qui est isolé. Personne ne sait ce qui s’y passe, personne n’y a accès et aucun contact n’est pour l’heure possible. Grâce à notre réseau et en collaboration avec le Commissaire aux droits de l’enfant, nous surveillons la situation.

Des enfants dans les abris anti-bombes à Brovary © SOS Children’s Villages Ukraine

Comment pouvez-vous les aider ?

J’ai écrit une lettre au Comité des droits de l’enfant de l’ONU demandant l’ouverture d’un couloir humanitaire. Cela a été facilité par nos collègues du plaidoyer. Ils ont frappé à toutes les portes pour que ce sujet soit débattu par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Des couloirs humanitaires sont en cours de négociation entre le gouvernement ukrainien et la Fédération de Russie. Il y a eu un accord pour avoir de tels corridors, mais en pratique ça ne marche pas et tout se passe sous le feu des forces russes.

Quelle est la situation dans les villes bloquées ?

Il y a des risques de mourir non seulement sous les balles mais aussi de faim et de froid, c’est pourquoi nous avons besoin de toute urgence de couloirs humanitaires. Il n’y a pas d’électricité, les gens ne peuvent pas recharger leur téléphone ni utiliser de générateurs car il n’y a plus de carburant. Il n’y a pas de chauffage et la température la nuit est de -8°C. Les gens se cachent dans des sous-sols glaciaux où il y a des centaines d’enfants. Là où j’étais, nous avions de l’eau et du pain. Maintenant, la nourriture est un problème. Les mères ne peuvent plus allaiter les bébés et ne peuvent leur donner du lait maternisé parce qu’il n’y en a pas. De nombreux enfants courent un risque sérieux de mourir de faim.

Que prévoit SOS Villages d’Enfants Ukraine ?

Nous devons nous concentrer sur les actions dans les zones où il y a le plus de personnes déplacées. Nous continuons à coordonner la relocalisation des familles d’accueil vers des endroits plus sûrs. Par ailleurs, l’une de nos plus grandes tâches est de soutenir notre personnel. Nous devons l’aider à se stabiliser émotionnellement. Sinon, nous le perdrons. Les équipes SOS des régions de Kiev et de Lougansk ont fait un travail formidable. Elles ont déployé beaucoup d’efforts et ont persuadé les familles d’accueil, soutenues par SOS Villages d’Enfants, de déménager avant le début de la guerre.

Interview originale et complète en anglais à lire sur le site de SOS Children’s Villages International

En savoir plus sur notre programme d’aide d’urgence en Ukraine

Photo : SOS Villages d’Enfants Ukraine

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